Traque à l’embûche
Nouvelle pour Mousquetaires de l’ombre - Jean-Marc
Dumartin
Les cinq Mousquetaires de l’Ombre allaient petit trot.
Depuis deux jours déjà, ils avalaient les lieues comme d’autres engouffraient pains et volailles. Vingt-et-un pour hier et aujourd’hui prenait le même chemin. Les chevaux étaient fourbus, certains des cavaliers ne valaient guère mieux. Fossard, en particulier, couché sur l’encolure de son brun rouge, il dandinait mollement au rythme de sa monture. Arnauld de Morency, meneur de la petite troupe, savait bien qu’hommes et animaux n’en accepteraient point d’avantage.
Peu
après midi, la pluie cessant, ils avaient écarté le relais de poste de
Flichecourt avec la ferme intention de passer la nuit et changer les chevaux à
celui d’Abbeville. De Morency, De Nérac, Fossard, Fontvielle et Boisvert se
présentèrent au relais auberge en fin d’après midi, vers 5h30. Leur aspect, modelé par la longue chevauchée, était tel que le patron des lieux
eut du mal à reconnaître en eux les gentilshommes qu’ils étaient. Lorsque
révélation fut faite, il ordonna à ses gens de préparer les baignoires et l’eau
chaude. De Morency l’en remercia et paya d’avance les services du soir, de la
nuit ainsi que l’échange des chevaux.
Décrassés,
les habits séchés et dépoussiérés, les cinq compagnons se retrouvèrent pour
dîner. Ils ne se trouvaient que deux autres personnes dans la salle commune qui
d’ailleurs reprirent la route de nuit, sitôt leur repas achevé.
Le
patron leur assura par ailleurs que nulle troupe, fut-ce-t-elle de huit hommes,
n’avait séjournée au relais depuis près d’une semaine.
Entre
deux pichets de vin âpre du pays, les Mousquetaires bénirent cette halte
bienvenue. Malgré la fatigue, ils conversèrent assez tard dans la soirée.
-
À
ce train là nous ne tiendrons plus guère…
-
Oui
et vous avez bien failli me perdre aujourd’hui, répondit Fossard.
-
Nous
ne vous aurions point laissé en route Fossard, même si c’est en travers de
votre monture que vous eussiez dû franchir l’enceinte du relais.
-
Ce
me semble là un tableau qui eut alimenté quelques conversations.
-
Votre
pensée est juste, Nérac, buvons !
Les
cinq Mousquetaires vidèrent un autre pichet. La détente leur paraissait plus
douce encore après ces deux jours de cavalcades.
-
Morency,
pensez-vous qu’ils tiennent pareille allure ? demanda Boisvert.
-
Non,
ce ne sont pas des cavaliers aguerris et l’un d’eux est certainement blessé, de
l’œuvre de Nérac. Ils ne peuvent progresser aussi vite. Nous les rattraperons
avant Calais.
-
Et
l’homme qui est avec eux ? Pensez-vous que ce renégat soit des
notre ?
-
Gentilhomme ?
Cessez de plaisanter ! Je préfère mettre cette allégation sur l’autel de
la fatigue. Cela ne se peut ! Soldat peut-être tout au plus, rétorqua
Arnaud de Morency, énervé.
-
Dans
tous les cas, peut-il deviner nos desseins ?
-
Moi
je pense que oui, répondit le peu prolixe Fontvielle, c’est sûrement lui qui
les a fait sortir d’Amiens pendant que nous les y cherchions.
-
Force
m’est de constater que c’est la meilleure explication, dit Morency. Peut-être
vont-ils biaiser et prendre des chemins détournés. Cela nous laissera encore
d’avantage de temps pour leur préparer une réception digne d’eux.
Sur
quoi il vida son gobelet d’un trait et annonça qu’il était temps d’aller se
coucher.
-
Que
la nuit vous soit favorable, Mousquetaires, demain la route sera longue pour
joindre Boulogne, presque vingt lieues encore.
-
Bien
dit et fort juste monsieur de Morency. Bonne nuit messieurs.
Les
cinq compagnons se retrouvèrent ensemble dans la chambre commune, après que Jean-Olivier
Boisvert soit resté à la table du repas le temps de fumer une bonne pipe.
-
M’est
avis, messieurs, que vous dormiriez mieux sans vos bottes et vos épées, dit-il
en voyant ses compagnons encore debout.
-
Et
m’est avis, répondit Nérac, que nous n’allons pas tout de suite essayer de nous
unir au sommeil.
-
Ah ?
-
Monsieur
Fontvielle a voulu s’assurer de la qualité des montures que nous auront demain,
il a perçu, dans l’écurie, autre chose qu’un son équin.
-
Fort
bien, allons donc voir ce cheval polyglotte…
Les
Mousquetaires de l’Ombre mettent épée au clair dès leur arrivée dehors et se
dirigent droit vers les écuries. Il n’y a pas grand chose qui puisse intimider cinq
combattants endurcis, aussi se séparent-ils devant les portes.
-
Fontvielle
avec moi, dit de Morency, Fossard et Boisvert avec monsieur de Nérac, veillez à
ce que personne ne tente de sortir par les box.
Un
instant après que ses trois compagnons aient tourné l’angle des écuries,
Arnauld de Morency suivi de Benoît Fontvielle pénètre dans l’édifice.
Quelques
chevaux s’ébrouent à cette intrusion mais le calme règne.
-
Où
était-ce ? questionne Arnauld.
-
Vers
le centre, près du grand abreuvoir.
Rien
d’anormal en ce lieu. Aucun signe d’une quelconque présence, hors celle de Nérac
qui apparaît à l’autre extrémité des écuries, faisant signe que tout vas bien.
-
Auriez-vous
rêvé mon ami ?
-
Nullement
monsieur j’en suis sur.
-
Alors
poursuivons.
Le
quintet se reforme à l’extérieur et chacun rapporte… qu’il n’y a rien à
rapporter.
-
Peut-être
devrions-nous inspecter le stock de fourrage, dit Fossard.
-
Monsieur,
votre abandon à la chevauchée vous a fait grand bien, voici une excellente idée
à laquelle j’enrage de ne pas avoir pensé. C’est si évident, après…
Charles
Fossard et Jean-Olivier Boisvert montent à une corde de levage, suivis de
Morency alors que Nérac et Fontvielle vont quérir l’échelle intérieure.
Les
recherches ne sont pas longues. Au milieu des bottes de foin, ils découvrent le
corps d’un homme, ou ce qui semble tel, allongé sur le ventre, bras et tête
sous la paille, probablement inconscient.
Pensant
ne rien risquer, Boisvert se penche sur le corps avec la ferme intention de le
retourner et de savoir enfin à qui il a à faire.
Au
moment où le Mousquetaire de l’Ombre s’incline sur le corps, un mouvement agite
ce dernier. Jean-Olivier sans comprendre ce qu’il se passe voit la tête émerger
de la paille, face à lui ! Une seconde de profonde stupeur suivie d’une
douleur intense. Le jeune homme bascule avec une longue dague plantée en plein dans
les côtes. Ses compagnons réagissent aussitôt et deux épées viennent clouer
l’extraterrestre. Une dans le dos, au niveau du cœur et la seconde dans la
gorge (la nuque ?) de la créature.
Triste
constat, un évadé tué et surtout un mousquetaire sévèrement touché.
Nérac
et Fontvielle arrivent pour contempler leur ami perdant son sang. Arnauld de
Morency est sombre et Fossard, assis
dans la paille, est découragé.
-
Jeune
Boisvert vous avez oublié les consignes…
-
Il
est malvenu de lui faire des reproches, c’est trop tard, nous aurions du le
faire plus tôt, nous n’en serions pas là. Allons, soignons le au mieux.
-
Trêve
des sanglots messieurs, dit de Morency, il nous faut changer nos plans.
Monsieur Fossard, vous allez vous charger de notre compagnon et du corps de la
créature. Vous regagnez Maurepas afin que Boisvert reçoivent les soins
appropriés mais n’attendez pas. Vous reprenez immédiatement la route pour Calais
avec une section en renfort.
-
Très
bien monsieur.
-
Nous
trois allons poursuivre vers notre objectif.
Arnauld
de Morency allait rajouter quelque chose lorsque un grand bruit se fait
entendre. Les portes des écuries qui claquent, on vient de les enfermer dans le
bâtiment.
-
Monsieur
Fossard, je crois que vous n’êtes pas encore parti ! Aux armes
mousquetaires !
Les
chevaux commencent à s’agiter. Nérac descend à l’échelle et allant vers l’une
des portes, discerne de la fumée au bas de celle-ci.
-
Au
feu ! crie-t-il. On veut nous rôtir ici !
-
La
porte de levage ! hurle Morency, Nérac, remontez !
Au
moment de rejoindre l’accès de levage, trois ou quatre torches atterrissent sur
le plancher et mettent immédiatement le feu à la paille, l’embrasement est
d’une vélocité incroyable, les Mousquetaires de l’Ombre sont contraint au
repli.
Les
chevaux sont plus qu’agité maintenant, ils hennissent, se cabrent, martèlent
les portes de leurs sabots, l’instinct seul commande.
Les
quatre hommes descendent tout en peinant pour manœuvrer la masse inerte de leur
camarade. Ils abandonnent le corps de la créature car ils savent bien que ce
bâtiment de planches ne résistera pas au brasier bien longtemps, surtout
alimenté qu’il est par le foin qui occupe tout l’étage. Il ne restera donc
point de traces.
-
Les
chevaux ! faites sortir les chevaux des box ! crie de Morency !
Vite !
Les
mousquetaires se mettent en devoir de faire sortir les bêtes de leurs carrés et
ces dernières, affolées, se retrouvent dans l’allée centrale des écuries,
bougeant en tous sens.
Les
premières flammèches tombent du toit en proie aux flammes.
-
Il
est plus que temps, dit de Morency en montant à cru sur un isabelle moins
énervé que les autres. Allez ! poussez-les vers les portes !
Lui
même, joignant le geste à la parole dirige sa monture vers le double battant de
l’ouest. Il le fait cabrer et heurter les vantaux de ses sabots antérieurs. La
porte bouge mais ne s’ouvre pas. Il recommence, et encore. L’incendie gagne les
planches du bas et les complaintes du toit son annonciatrices de son
effondrement. Les chevaux sont fous ! De Morency voit Nérac à ses cotés
engager la même manœuvre. Tous deux agissent de concert. Une fois, deux, trois,
la quatrième est la bonne, l’un des battants cède et libère la horde qui ne se
fait pas prier pour sortir au galop.
Le
mouvement d’air agitant les flammes, Fontvielle se voit assaillit de flammèches
et en proie au feu, il plonge instinctivement dans l’abreuvoir situé à gauche
du vantail ouvert.
Au
même moment, claquent cinq coups de feu alors que Morency et Nérac distinguent deux
formes à la lueur de l’incendie et foncent les engager. On peut croire que les
coups de feu sonnèrent aussi le ralliement. Les agresseurs sis de l’autre côté
des écuries accourent et la mêlée se fait vite générale. Arnauld de Morency,
Louis de Nérac et Charles Fossard se retrouvent aux prises avec cinq
adversaires, les mousquetaires ayant réussi sans peine à se débarrasser de ceux
aperçus en premier.
Les
créatures d’outre espace ont beau avoir la possibilité de mouvoir leurs membres
dans toutes les directions, elles n’entendent rien à l’escrime et deux autres
gisent à terre après le premier assaut. Nérac feinte un instant puis abat son
adversaire à regret, souhaitant le ramener vivant. Le jeune Fossard, emporté
par la griserie du combat, veut pratiquer une manœuvre d’anthologie et, dans un
large mouvement achevé par un roulé-boulé, récolte une vilaine blessure au bras
gauche. La douleur calme ses ardeurs et il assomme la créature dans l’instant
suivant.
Arnauld
de Morency a plus de difficultés, il n’affronte pas, lui, un extraterrestre
inexpérimenté mais bien un homme rompu au maniement des armes.
Les
assauts se multiplient, les derniers sous l’œil de Nérac et Fossard, et les
fers se font de plus en plus précis. Soudain, la lame de l’homme mord le cou de
Morency. L’estafilade aurait pu être fatale, aussi Arnauld décide-t-il d’en
finir. Par deux fois il essaye de placer la botte enseignée par le marquis de
Loudun, sans succès. Un assaut supplémentaire et De Morency termine dos à son
adversaire. Il surprend celui-ci en inversant sa prise et en frappant par
dessous son épaule. Touché en plein torse, l’homme s’écroule mortellement
blessé.
-
Messieurs,
cet homme était bien un soldat. Rien ne l’affirme mais je le prendrais pour
pratiquer l’escrime anglaise. Vous êtes blessé Fossard…
-
Oui
et j’avoue l’inconfort de ma situation.
-
Où
se trouve Fontvielle ?
Les
trois Mousquetaires de l’Ombre se mettent à chercher leur compagnon, sans
succès. Les écuries s’effondrent alors que les trois hommes installent Boisvert
du mieux qu’ils le peuvent et rassemblent les corps de leurs adversaires.
-
Le
corps d’un Galérien a brûlé dans l’incendie, les sept autres sont là. Entravés
et bâillonnés ou morts.
-
Mais
où donc est passé Fontvielle ?
-
Continuez
à chercher, dit De Morency, je reviens.
Arnauld
se dirige vers le relais. Il compte bien demander quelques éclaircissements au
patron. Peine perdue, ce dernier a disparu.
Le
marmiton, réveillé sans douceur, n’en sait pas d’avantage, tout imbibé de vin
qu’il est.
-
Morency !
Morency venez ! Morency !
La
voix de Nérac porte jusque dans l’auberge. Arnauld rejoint ses compagnons au
pas de charge. De Nérac et Fossard sont debout devant un abreuvoir.
-
Que se
passe-t-il ?
-
Fontvielle
est là, réponds Nérac en désignant le bac.
Le
mousquetaire est allongé dans un restant d’eau teintée de rouge. Il s’avèrera
que lorsque les coups de feu ont éclatés, deux ont fait mouche. La compagnie
des Mousquetaires de l’Ombre vient de perdre un homme de valeur.
-
Quel
gâchis, dit de Morency. Nérac, trouvez-nous une voiture ou une charrette,
quelque chose pour enlever les prisonniers et les corps d’ici et partons sans
plus attendre. Une voiture fermée de préférence.
-
Nous
rentrons à Maurepas ?
-
Oui, à
moins que vous ne nous trouviez d’autres adversaires à pourfendre sur la route
de Calais… Notre objectif est atteint, même si le prix à payer est abusif.
Triste
et longue sera la route du retour.